quinta-feira, 23 de julho de 2009

Matemáticas e autonomia científica


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L'autonomie, dans [le champ scientifique] comme dans tous les autres, a été conquise peu à peu. Commencée avec Copernic, la révolution scientifique s'est terminée, selon Joseph Ben-David, par lá création de la Royal Society à Londres (...). Parmi les facteurs de ce processus, un des plus importants, qui a été évoqué par Kuhn dans un des textes réunis dans La Tension essentielle, «Mathematical versus experimental tradition», est la mathématisation. Et Yves Gingras, dans un article intitulé «Mathématisation et exclusion, socioanalyse de la formation des cités savantes», montre que la mathématisation est à l'origine de plusieres phénomènes convergents qui tous tendent à renforcer l'autonomie du monde scientifique et en particulier da la physique (il n'est pas certain que ce phénomène exerce partout et toujours les mêmes effets, en particulier dans les sciences sociales).

La mathématisation produit d'abord un effet d'exclusion hors du champ de discussion (...): avec Newton (j'ajouterais Leibniz) la mathématisation de la physique tend peu à peu, à partir du milieu du XVIII siècle, à instaurer une très forte coupure sociale entre les professionnels et les amateurs, à séparer les insiders et les outsiders; la maîtrise des mathématiques (qui est acquise au moment de la formation) devient le droit d'entrée et réduit le nombre non seulement des lecteurs mais aussi des producteurs potentiels (...). C'est ainsi que Faraday subit l'effet d'exclusion des mathématiques de Maxwell. La coupure implique la fermeture, qui produit la censure. Chacun des chercheurs engagés dans le champ est soumis au contrôle de tous les autres, et en particulier de ses concurrents les plus compétents, avec pour conséquence un contrôle autrement puissante que les seules vertus individuelles ou toutes les déontologies.

Deuxième conséquence de la mathématisation, la transformation de l'idée d'explication. C'est en calculant que le physicien explique le monde, qu'il engendre les explications qu'il lui faut ensuite confronter par l'expérimentation avec les choses prévues telles que le dispositif expérimental permet de les saisir. Si Kuhn avait construit son modèle de la révolution en s'appuyant non, comme il l'a fait, sur le cas de la révolution copernicienne, mais sur le cas de la révolution newtonienne, il aurait vu que Newton a été le premier à fournir des explications mathématiques qui impliquaient un changement de théorie physique: sans prendre nécessairemente position sur l'ontologie correspondante (évidemment, on peut parler d'action à distance, etc.), il substituait une explication mathématique à l'explication par le contact mécanique (comme chez Descartes ou chez Leibniz), ce qui implique une redéfinition de la physique.

Ceci entraîne un troisième effet de la mathématisation, ce qu'on peut appeler la désubstantialisation, en suivant les analyses de Cassirer de Substance et Fonction, auquel se réfère aussi Gingras: la science moderne substitue les relations fonctionnelles, les structures, aux substances aristotéliciennes et c'est la logique de la manipulation des symboles qui guide les mains du physicien vers des conduites nécessaires. L'usage de formulations mathématiques abstraites affaiblit la tendance à concevoir la matière en termes substantiels et conduit même à mettre l'accent sur les aspects relationnels. (...) Le calcul de probabilités permet de fournir des prévisions à propos de mesures ultérieures à partir des résultats de mesures initiales. (...) L'épistémologie n'a pas à prendre position sur la réalité du monde; elle se contente de prendre position sur la prédictibilité des mesures que rend possible la mise en oeuvre du calcul des probabilités s'appuyant sur des mesures passées.

Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité

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